jeudi 21 décembre 2017

L'avenir des industries manufacturères dans les pays en développement.

 http://www.banquemondiale.org/fr/topic/competitiveness/publication/trouble-in-the-making-the-future-of-manufacturing-led-development

Un article tiré du site de la banque mondiale.

Secteur manufacturier : le grand moteur du développement est-il voué à se gripper ?


LES POINTS MARQUANTS

  • Les nouvelles technologies, notamment la robotique de pointe, l’automatisation industrielle et l’impression 3D, modifient le paysage des industries manufacturières dans le monde.
  • La trajectoire traditionnelle des pays en développement, qui s’appuient souvent sur le secteur manufacturier pour progresser, pourrait bien être menacée par l’évolution des facteurs déterminant l’attractivité des sites de production.
  • À condition de prendre des mesures adaptées sur le front de la compétitivité, des capacités et de la connectivité, les pays en développement pourront, au-delà des défis, se saisir de nouvelles opportunités.


WASHINGTON, 20 septembre 2017 – Les industries manufacturières constituent un moteur de développement essentiel pour les pays à faible revenu, qui se sont souvent appuyés sur ce secteur pour fournir des emplois aux travailleurs non qualifiés, améliorer leur productivité et stimuler la croissance économique. Actuellement cependant, seuls quelques pays parviennent à tirer leur épingle du jeu dans les chaînes de valeur mondiales et les industries manufacturières. En 2015, 55 % de la totalité des biens manufacturés produits dans le monde l’ont été par des pays à revenu élevé et 25 % par la Chine, premier producteur mondial, condamnant les autres pays à se partager le reste.
Un nouveau rapport du pôle mondial d’expertise en Commerce et compétitivité de la Banque mondiale, intitulé Trouble in the Making? The Future of Manufacturing-Led Development, analyse l’évolution des facteurs déterminant l’attractivité des lieux de production manufacturière. Car les entreprises autrefois séduites par une main-d’œuvre bon marché commencent à se tourner vers des destinations où elles pourront tirer un meilleur parti des nouvelles technologies.
ImageComment les pays en développement peuvent-ils continuer à progresser et à réduire la pauvreté alors que les technologies et la mondialisation transforment les industries manufacturières ? Voir l'infographie conplète en anglaiss >
La pénétration croissante de l’automatisation industrielle, de la robotique de pointe, des usines « intelligentes », de l’Internet des objets et de l’impression 3D révolutionne les procédés de fabrication. « Le recours aux nouvelles technologies pour produire des biens manufacturés traditionnels va perturber les économies en développement, qu’elles les utilisent ou non », souligne Mary Hallward-Driemeier, conseillère économique senior au pôle mondial d’expertise en Commerce et compétitivité du Groupe de la Banque mondiale et co-auteur du rapport. « Avec l’érosion de la part du travail dans le total des coûts de production, les industriels pourraient privilégier les pays plus riches pour se rapprocher des consommateurs. De moins en moins de sociétés viendront s’implanter dans des sites à bas coûts et les entreprises locales seront confrontées à une concurrence accrue. Mais les nuages à l’horizon ne doivent pas masquer les nouvelles perspectives — et c’est là que nous devons faire porter nos efforts. »

MULTIMÉDIA

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Le phénomène est classique : dans certains secteurs, les robots et les progrès technologiques permettent d’automatiser des tâches jusque-là accomplies par des êtres humains. En Chine par exemple, plus de 400 000 robots industriels devraient faire leur apparition dans les usines d’ici 2018, du jamais vu ailleurs dans le monde. Dans le Jiangsu, la firme FoxConn, connue pour fabriquer les produits Apple et Samsung, vient de remplacer 60 000 ouvriers par des automates.
En réduisant le poids relatif des salaires, les technologies robotiques et les usines « intelligentes » peuvent modifier les facteurs de compétitivité internationale d’un site. En Europe, le néerlandais Philips et l’allemand Adidas viennent de rapatrier la production des rasoirs et baskets pour se rapprocher des consommateurs. Dans les deux cas, les usines plus récentes équipées d’outils technologiques ont permis de réaliser des économies par rapport aux usines délocalisées pratiquant des salaires inférieurs.
Mais l’évolution de l’économie mondiale s’accompagne de nouveaux défis. Le développement des industries manufacturières pourrait achopper sur la faiblesse de la demande d’importations consécutive au tassement des échanges à la suite de la crise financière de 2008, le repli du commerce de pièces détachées et de composants, la progression continue de la Chine dans les segments situés en bas des chaînes de valeur mondiales ou encore le retour du protectionnisme.
La conjonction de ces évolutions technologiques et commerciales détermine les lieux de production et les procédés de fabrication, les profils d’emplois créés et l’étendue des débouchés économiques dans le monde. Dès lors, les industries manufacturières pourraient bien devenir une trajectoire de développement inaccessible pour les pays à faible revenu.
Mais, selon le rapport The Future of Manufacturing-Led Development, l’avenir n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît. Sans sous-estimer la gravité du phénomène, les articles consacrés aux pertes d’emplois massives découlant de l’automatisation des tâches dans les pays en développement exagèrent probablement le trait. De fait, les pertes pour les emplois actuels pourraient y être relativement modestes, de 2 à 8 %. Mais la grande inconnue, ce sont les « emplois de demain » avec, d’un côté, des pays probablement perdants en termes d’emplois qui ne seront jamais créés et, de l’autre, l’apparition de métiers dont nous ignorons tout aujourd’hui, liés aux nouvelles technologies.

« Les pays doivent impérativement s’attaquer aux coûts liés à ce changement. Mais pour étayer le développement, il faut également s’attacher à positionner les entreprises et les employés de manière à exploiter ces nouvelles opportunités. Ce rapport va contribuer à recentrer les efforts sur cet aspect critique  »
Anabel Gonzalez
Directrice principale du pôle mondial d’expertise en Commerce et Compétitivité du Groupe de la Banque mondiale


Malgré la pression permanente pour devenir compétitifs sur les marchés internationaux, les pays en développement ont de réelles perspectives : la production de biens échangeables (textiles, vêtements et chaussures notamment) fait toujours appel à une main-d’œuvre abondante et n’a pas encore véritablement pris le virage de l’automatisation. L’Éthiopie s’impose progressivement comme une plateforme de production textile, attirant d’importants investissements de la part de la Chine et devenant le fournisseur de certaines grandes marques européennes, comme H&M.
Les industries liées aux produits de base (transformation des aliments, bois et papier ou métaux de base) resteront quant à elles une porte d’entrée pour les pays moins industrialisés. Le Brésil en a fait la démonstration en 2016, avec 44,2 milliards de dollars d’exportations.
Enfin, le secteur tertiaire, y compris les services aux entreprises (centres d’appels et centres de données) et toutes les filières liées aux produits manufacturés (conception, commercialisation et distribution) font partie des créneaux à investir pour les pays en développement. Les Philippines se sont ainsi imposées comme une plateforme « offshore » de services aux entreprises, avec des centres d’appels qui emploient 1 million de personnes et engendrent quelque 18 milliards de dollars d’exportations.

Gaurav Nayyar is an economist with the Trade & Competitiveness Global Practice and report lead author.
World Bank Group


« Les pays doivent impérativement s’attaquer aux coûts liés à ce changement. Mais pour étayer le développement, il faut également s’attacher à positionner les entreprises et les employés de manière à exploiter ces nouvelles opportunités. Ce rapport va contribuer à recentrer les efforts sur cet aspect critique », analyse Anabel Gonzalez, directrice principale du pôle mondial d’expertise en Commerce et compétitivité du Groupe de la Banque mondiale.
Pour anticiper une telle évolution, le rapport suggère de privilégier trois aspects : la compétitivité, les capacités et la connectivité.
  • Compétitivité : cesser de privilégier le coût de la main-d’œuvre pour envisager plus largement l’environnement des affaires, la situation sur le plan de l’État de droit et le recours aux technologies pour conclure des transactions financières afin de développer des écosystèmes commerciaux.
  • Capacités : impartir aux ouvriers de nouvelles compétences, bâtir des entreprises plus solides et déployer les infrastructures indispensables à l’adoption des nouvelles technologies.
  • Connectivité : améliorer la logistique et démanteler les restrictions pesant sur les échanges de biens manufacturés et sur les services.
Les industries manufacturières ne disparaîtront pas des stratégies de développement mais leur contribution à une croissance sans exclus risque d’être moindre que par le passé. Les pays vont avoir plus de mal à attirer la production et aider les entreprises locales à utiliser les nouvelles technologies. Pour s’ajuster à l’évolution de la conjoncture mondiale, les gouvernements doivent agir sur les leviers politiques. « Tout changement crée forcément des gagnants et des perdants », souligne Gaurav Nayyar, économiste au pôle mondial d’expertise en Commerce et compétitivité et co-auteur du rapport. « Les décideurs doivent trouver des solutions concrètes pour permettre aux pays en développement de se positionner face aux perturbations engendrées par les technologies et profiter de la mondialisation. L’impréparation pourrait leur coûter cher, il ne saurait être question d’ignorer le danger. »

Le délit d’opinion de Kako Nubukpo, critique du franc CFA. Par Mediapart.


Avertissement : l'intégralité de cette page provient du journal en ligne Mediapart, nous nous contentons ici de les présenter au lecteur pour des facilités de recherche. D'autres articles portant sur la même thématique émanant du mouvement Des Publicae figurent sur ce blog.

Il peuvent également être lus en cliquant sur le lien suivant : https://www.mediapart.fr/biographie/fanny-pigeaud-0

Le délit d’opinion de Kako Nubukpo, critique du franc CFA.

Par  Mediapart, 18/12/2017.

L’économiste togolais a été brutalement congédié par l’Organisation internationale de la francophonie en raison de ses prises de position critiques envers le franc CFA, « inappropriées » selon les propres termes de l’administrateur de l’OIF.
À ceux qui cherchaient une preuve supplémentaire de l’impossibilité pour un cadre africain de critiquer le franc CFA sans risquer de perdre son poste, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), basée à Paris, vient d’en fournir une.
Le 4 décembre, Michaëlle Jean et Adama Ouane, respectivement secrétaire générale et administrateur de l’OIF, ont mis brutalement fin aux fonctions de l’économiste togolais Kako Nubukpo, qui était depuis mars 2016 le directeur de la Francophonie économique et numérique. La « lettre de notification » qu’ils lui ont adressée parle d’une « suspension à titre conservatoire », mais l’affaire prend toutes les allures d’un renvoi définitif. Une commission paritaire doit encore se réunir mi-janvier pour statuer sur la question. Son avis ne sera cependant pas contraignant.
À peine Kako Nubukpo était-il informé de sa mise à pied que son salaire était suspendu, son badge d’entrée aux bâtiments de l’organisation, situés dans le VIIe arrondissement de Paris, lui était retiré, ainsi que son accès à ses courriels. Quelques jours auparavant, les dirigeants de l’OIF avaient, en vain, tenté d’obtenir sa démission, et refusé une « séparation à l’amiable ».
Selon Michaëlle Jean, qui s’est exprimée pour la première fois sur le sujet le 16 décembre depuis le Bénin où elle était en visite, l’économiste a été sanctionné parce qu’il a « manqué à son devoir de réserve ». « Les organisations internationales ont une règle. Les hauts fonctionnaires sont tenus à un devoir de réserve », a-t-elle avancé.

Lire aussi

Notre série le franc CFA en question. Par Fanny Pigeaud. (Médiapart).

Tout porte à croire que c’est plutôt d’un délit d’opinion dont il s’agit. Dans sa « lettre de notification », Adama Ouane reproche à son collaborateur ses différentes « déclarations » et ses « prises de position dans la presse écrite, parlée et audiovisuelle sur les polémiques autour du franc CFA », estimant qu’elles étaient « inappropriées et constituaient une faute professionnelle ». Depuis mars 2016, Kako Nubukpo s’est en effet régulièrement exprimé dans le cadre de sa mission sur la question du franc CFA, monnaie partagée par quatorze pays africains, mais dépendant toujours du ministère français des finances (lire notre série d’articles sur le franc CFA). Car comment parler d’économie sans s’intéresser à la monnaie et à la politique monétaire quand ces dernières ont un impact sur la pauvreté et l’emploi ? Visiblement, ce n’est pas le fait que Kako Nubukpo ait parlé du franc CFA qui a dérangé, mais ce sont ses remises en question du système qui régit cette monnaie et qui, estime-t-il, freine le développement des pays qui l’utilisent : le 16 décembre, Michaëlle Jean a donné un indice clair de ses motivations en qualifiant son ex-collaborateur de « militant ».
Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francphonie, et Alassane Ouattara, président de la Côte d'Ivoire, ouvrent les Jeux francophones à Abidjan, en juillet 2017. © Reuters
Pourtant, les positions de l’économiste togolais étaient connues depuis longtemps lorsqu’il a été recruté par l’OIF, qui regroupe 84 États et gouvernements et compte la France parmi ses principaux contributeurs. Et sa hiérarchie ne lui a adressé aucun reproche avant et après la publication, en septembre 2016, d’un livre intitulé Sortir l’Afrique de la servitude volontaire : à qui profite le franc CFA (éditions La Dispute) qu’il a codirigé et coécrit. De même, jusqu’au 4 décembre, elle ne lui a fait parvenir aucune notification écrite qui aurait pu prendre la forme d’un avertissement ou d’un rappel à l’ordre.
Les raisons de la décision des dirigeants de l’OIF sont sans doute à chercher du côté de deux événements récents. Le premier est la publication, le 29 novembre, par Le Monde Afrique, d’un texte de Kako Nubukpo réagissant aux déclarations faites par Emmanuel Macron lors de sa visite au Burkina Faso. Le président français s’était dit ouvert à l’idée d’un « changement de nom » et d’un « élargissement du périmètre » de la zone franc, tout en vantant la « stabilité » que le franc CFA procurerait à ses utilisateurs. Une vision « imprécise et caricaturale », selon Kako Nubukpo. Pour l’économiste, Emmanuel Macron a oublié « que les arrangements institutionnels organisant le fonctionnement de la zone franc constituent le véhicule par excellence de l’accumulation de richesses hors du continent africain », puisque « la fixité de la parité entre le franc CFA et l’euro, la totale garantie de convertibilité entre ces deux monnaies, et enfin la liberté de circulation des capitaux entre les deux zones (franc et euro), permettent un siphonnage en toute légalité des ressources africaines vers des cieux où le capital serait en meilleure sécurité, obligeant les forces productives de la zone franc à recommencer, chaque année, le processus d’accumulation du capital ». D’après Adama Ouane, l’article de l’économiste a le grand tort de prendre « à partie des chefs d’État de pays membres » de l’OIF, comme il l’explique dans sa « lettre de notification ».
Le second événement qui a fait réagir la direction de l’OIF est antérieur à cette publication. Il s’agit d’une rencontre entre Michaëlle Jean et le président ivoirien Alassane Ouattara, en marge de la dernière assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, en septembre à New York. Premier défenseur du franc CFA en Afrique, Alassane Ouattara a tancé, devant de nombreux témoins, la secrétaire générale de l’OIF à propos de son directeur de la Francophonie économique et numérique : « Du fait de ses déclarations anti-franc CFA, je ne comprends pas qu’il soit toujours cadre chez vous », lui a-t-il dit en substance, annonçant qu’il allait saisir officiellement les instances de l’OIF, en tant que président de la Côte d’Ivoire et président en exercice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA). Il a aussi expliqué qu’il ne recevrait plus jamais Kako Nubukpo à la présidence ivoirienne et qu’il ne lui « serrerait plus jamais la main ». Alassane Ouattara qui a, à plusieurs reprises, en 2016 et 2017, blâmé publiquement les économistes critiquant le franc CFA, n’est pas le seul à s’être plaint au cours de ces derniers mois : à la fin d’une réunion, un représentant du ministère français des affaires étrangères auprès de l’OIF a aussi pris publiquement à partie Kako Nubukpo. Adama Ouane évoque d’ailleurs des « protestations fermes de plusieurs chefs d’État et de gouvernement ».
Depuis qu’elle est connue, la nouvelle de l’éviction brutale de Kako Nubukpo provoque beaucoup de remous au sein de l’opinion publique africaine et au-delà. Génération.s, le mouvement de Benoît Hamon, a par exemple fait la déclaration suivante : « Il est pour le moins étonnant, alors que le président Macron prétend s’adresser à la jeunesse d’Afrique, qu’on réduise au silence le peu de contradicteurs sérieux qui osent s'exprimer sur ce sujet [du franc CFA – ndlr], qui en réalité la concerne. » En limogeant son directeur de la Francophonie économique et numérique, Michaëlle Jean, qui a été élue en 2014 et voudrait l’être de nouveau l’an prochain, a peut-être cherché à donner des gages à la France. Mais il n’est pas sûr que cette stratégie s’avère payante, alors que le bilan de la Canadienne est déjà très critiqué. Dès son arrivée à la tête de l’organisation, elle avait froissé la France en lui retirant la direction des affaires politiques qu’elle avait jusque-là toujours contrôlée.
Pour Kako Nubukpo, l’histoire se répète : en 2015, il avait, pour les mêmes raisons, perdu son poste de ministre de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo. À l’époque, Alassane Ouattara et la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) avaient fait pression sur le président togolais, Faure Gnassingbé, pour qu’il le fasse sortir du gouvernement. Par la suite, en 2016, le Trésor français a refusé qu’il devienne président du comité d’évaluation de l’Agence française de développement (AFD). Il n’est pas le premier à subir un tel sort : au cours des décennies passées, d’autres dirigeants, économistes ou ministres africains ont été, eux aussi, victimes de représailles, parce qu’ils critiquaient le franc CFA ou ont tenté de faire sortir leurs pays de la zone franc. Cela a été le cas du président togolais Sylvanus Olympio, assassiné en 1963.
Le renvoi de l’OIF de Kako Nubukpo s’inscrit cependant dans un contexte nouveau : longtemps tabou, le sujet du franc CFA est depuis un an au centre de nombreux débats et manifestations organisées en France et en Afrique, les sociétés civiles africaines contestant de plus en plus la tutelle que la France continue d’exercer sur leurs pays par ce biais monétaire. Quelques présidents africains se sont aussi risqués récemment à faire de brèves déclarations publiques en faveur d’une évolution du fonctionnement de la zone franc. Celui du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, a ainsi laissé entendre, en octobre 2017, qu’il était pour un changement des « règles du jeu ».
La fébrilité dont font preuve certaines autorités montre que la partie est toutefois loin d’être gagnée. Le 6 septembre, le Sénégal a expulsé vers la France l’activiste franco-béninois Kemi Seba, qui vivait depuis plusieurs années sur son territoire. Quelques jours plus tôt, ce dernier  avait fait la une de l’actualité après avoir brûlé en public un billet de banque de 5 000 francs CFA afin de dénoncer le « scandale économico-politique d’ordre colonial » que représente pour lui cette monnaie. La BCEAO avait porté plainte contre lui, et il avait été emprisonné pendant quelques jours avant d’être jugé et relaxé.
La mobilisation ne devrait pas faiblir dans les mois à venir. À Dakar, par exemple, une conférence sur l’avenir du franc CFA a eu lieu le 16 décembre, avec la participation de plusieurs économistes, dont l’ancien ministre et ex-président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Mamadou Koulibaly. La veille, une manifestation d’un « comité anti-franc CFA » avait poussé Michaëlle Jean à renoncer à donner une conférence à l’université de Cotonou. C’est là l’une des conséquences du limogeage de Kako Nubukpo : il contribue à renforcer la conviction de ceux qui pensent que le système du franc CFA est injuste et doit être modifié.

vendredi 15 décembre 2017

Crise de l'OMC.

A Buenos Aires, les représentants au commerce des 164 pays membres de l'OMC se sont séparés sur un constat d'échec.
Difficile de conclure des accords de l'ampleur de ceux de 
    Bali
en 2013 et 
    Nairobi
en 2015 à chaque réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). « Mais cela ne diminue pas la déception que nous ressentons. »
    Les regrets du directeur général
de l'Organisation, le Brésilien Roberto Azévêdo, lors de sa conférence de presse finale, mercredi à Buenos Aires, sont à la hauteur de l'immense désappointement après trois journées de discussions stériles.
    Les attentes étaient déjà faibles.
Et selon l'ONG Bloom,
    l'Inde a fait échouer
les discussions sur le seul accord d'envergure qui aurait pu voir le jour. Les négociations visant à mettre fin aux subventions favorisant la surpêche et la pêche illégale vont devoir se poursuivre. Un engagement a été pris par les 164 pays membres de l'OMC pour avancer sur cette question sensible d'ici à 2019. Mais l'Inde n'est pas la seule en cause, loin de là.
Claquer la porte
Les Etats-Unis n'ont guère été coopératifs. Le représentant américain a même claqué la porte des négociations et quitté l'Argentine un jour avant la fin des travaux. « Nous sommes inquiets, l'OMC est en train de perdre son objectif essentiel et devient une organisation axée sur les litiges », a regretté le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer Les Etats-Unis sont même en passe de paralyser la cour d'appel de l'organe de règlement des différends (ORD) en bloquant le remplacement de 3 juges. « Buenos Aires doit sonner le réveil des consciences. Le résultat n'est pas satisfaisant. Il y a un malaise de l'institution. Le statu quo n'est plus possible […]. L'Europe a une carte à jouer, l'Union européenne doit être une force de proposition », a indiqué pour sa part le secrétaire d'Etat français chargé du Commerce extérieur, Jean-Baptiste Lemoyne. « Des Etats ont fait des constats, les réponses qu'ils apportent peuvent précipiter une mort lente de l'institution », a même alerté le ministre français, en faisant allusion aux Etats-Unis.
« Nous devons reconnaître que cette conférence a mis en évidence, plus clairement que jamais, les déficiences de la fonction de négociation de l'OMC. Les excuses et les veto d'un membre ou d'un autre, ainsi que la prise d'otage cynique ont conduit au triste résultat d'aujourd'hui [mercredi] », a regretté la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, invitant les pays membres qui ont empêché un accord à se livrer à un exercice d'autocritique. « La triste réalité est que nous n'avons même pas accepté de cesser de subventionner la pêche illégale. »
C'est un échec cuisant pour l'OMC, qui a succédé à l'ancien GATT en 1995. « Le système n'est pas parfait. Mais c'est le meilleur que nous ayons. Et nous allons tous le regretter profondément si jamais il cessait de fonctionner », a averti Roberto Azévêdo. Dans les prochains mois, les discussions vont se poursuivre en vue de la réunion ministérielle qui aura lieu dans deux ans. D'ici là, la conclusion d'accords bilatéraux, à l'instar de celui de l'Union européenne avec le Japon, ou de celui entre 
    l'Europe et le Mercosur
, à venir, risque de prendre le pas sur le multilatéralisme. L'OMC risque de vivoter. A moins que les Etats-Unis ne lui donnent le coup de grâce en quittant l'Organisation, comme a menacé de le faire Donald Trump.

Dossier le Monde sur les inégalités.

Les inégalités explosent, l'instabilité politique menace

Le Mondevendredi 15 décembre 2017
Occupy Wall Street ", " Nous sommes les 99  % "… Les mouvements de la société civile nés après la crise financière de 2007 vont trouver une nouvelle fois des arguments pour étayer leur cause et nourrir leur colère. La parution, jeudi 14  décembre, du premier rapport sur les inégalités mondiales, fruit du travail d'une centaine d'économistes de tous pays, réunis au sein de la World Wealth and Income Database (WID. world), jette une lumière crue sur l'un des thèmes socio-économiques et politiques majeurs de ce début de siècle. Le succès mondial du livre de Thomas Piketty Le Capital au XXIe  siècle, paru en  2013 et vendu à plus de 2,5  millions d'exemplaires, avait déjà révélé l'ampleur des interrogations sur le sujet partout dans le monde.
Le phénomène, s'il est désormais bien documenté dans les pays développés, l'est assez peu dans les émergents. Certains d'entre eux ont été incontestablement les grands gagnants de deux décennies d'ouverture des  marchés. Mais on sait peu de chose des écarts de revenus et de patrimoine de leurs populations. Le mérite du travail présenté aujourd'hui est de s'atteler à cette tâche.
Pour l'instant, les seules informations dont on disposait étaient les enquêtes déclaratives auprès des ménages menées par les grandes institutions comme la Banque mondiale, l'ONU ou l'OCDE. Le travail de fourmi des chercheurs du WID, coordonné par Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, -Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, a consis-té à compléter ces informations avec celles du fisc et avec les comptabilités nationales, ce qui n'avait jamais été fait auparavant.
Il s'agit aujourd'hui de l'enquête la plus fouillée sur une longue période (1980-2016) et sur un nombre élevé de pays – près de soixante-dix en ce qui concerne les revenus. En dépit de certaines lacunes (l'Afrique) et approximations, elle permet d'étudier la trajectoire de toutes les catégories de revenus et de patrimoine, et pas seulement celles des plus riches.
Au-delà de l'accroissement global, qui trou-ve son origine dans la grande vague de libéralisation des années 1980-1990, suivie de l'explosion des échanges due à la mondialisation, la comparaison des différentes zones mondiales révèle des situations extrêmement hétérogènes, résultats de réponses culturelles et politiques très diverses.
Que l'on voie dans cet envol des inégalités la  rançon inévitable de l'innovation et de la prospérité économique qu'elle apporte, ou que l'on s'interroge sur les déséquilibres économiques et politiques qu'il est susceptible de provoquer dans nos sociétés, ces données exceptionnelles par leur ampleur posent les termes d'un débat essentiel qui ne fait que commencer. C'est pourquoi Le Monde publie sur ce sujet, durant trois jours, enquêtes, reportages et points de vue. Voici les principaux éléments du travail des économistes du WID.
Les inégalités de revenus ont -augmenté partout…
Presque toutes les parties du globe ont connu une montée des inégalités de revenus  lors des dernières décennies. Leur évolution peut se résumer en un graphique : la " courbe de l'éléphant " (son tracé évoque la tête et la trompe du pachyderme),  popularisée par l'économiste Branko Milanovic et réactualisée dans le rapport.
On y lit que, depuis les années 1980, le " top 1  % " des personnes les plus riches du monde a capté 27  % de la croissance du revenu, -contre 12  % pour les 50  % les plus pauvres de la planète. Cette catégorie-là a tout de même vu ses revenus progresser du fait de l'essor des pays émergents, la Chine au premier chef. Quant aux individus situés entre ces deux groupes – soit les classes moyennes occidentales essentiellement –, ils ont subi la plus faible croissance, voire la stagnation de leurs revenus entre 1980 et 2016. Au niveau mondial, la hausse des inégalités semble s'être un peu tempérée à partir de 2007. Pour les auteurs du rapport, cette modération -traduit la lente convergence des revenus moyens entre différentes parties du monde.
… Les inégalités de patrimoine aussi
Les inégalités ne se mesurent pas seulement en termes de revenu. Elles relèvent également du patrimoine détenu par les individus, à savoir les biens immobiliers, les actifs financiers ou encore les parts d'entreprises. Dans le monde, le niveau de ces inégalités de patrimoine reste 20 % à 30  % moins élevé que celui observé au début du XXe  siècle.
Néanmoins, il est reparti à la hausse depuis les années 1980 dans la plupart des pays, notamment aux Etats-Unis, où le 1  % le plus riche détient 39  % du patrimoine des ménages en  2014, contre 22  % en  1980. Le phénomène est en revanche moins marqué en France et au Royaume-Uni, où les inégalités de revenus sont moindres, et où les classes moyennes ont massivement eu accès à la propriété immobilière sur cette période, ce qui a limité le creusement des écarts.
Des situations très hétérogènes -selon les pays
Le tableau reste contrasté entre les différentes régions du monde. En  2016, la part du revenu national allant aux 10  % les plus aisés était ainsi de 37  % en Europe contre 41  % en Chine, 47  % en Amérique du Nord, 55  % en Inde et au Brésil… La croissance des inégalités s'est aussi effectuée à des rythmes différents selon les pays. Signe, selon les auteurs du rapport, " que les institutions et les politiques publiques jouent un rôle dans leur évolution ". Ainsi, les Etats-Unis et l'Europe, malgré un niveau d'ouverture commerciale comparable, n'ont pas du tout suivi la même trajectoire. Les niveaux d'inégalités dans les deux régions étaient proches dans les années 1980. Mais celles-ci se sont ensuite creusées beaucoup plus vite et plus fortement aux Etats-Unis. Chez les émergents, l'Inde et la Chine ont aussi divergé : depuis les années 1980, la première a enregistré une hausse des inégalités bien plus marquée que la seconde.
Un transfert massif de la richesse publique vers le privé
Depuis les années 1980, la plupart des pays sont devenus plus riches… Mais leurs gouvernements se sont appauvris, et c'est aussi l'un des moteurs de la hausse des inégalités. Pour le prouver, le rapport étudie la répartition du capital public et du capital privé, dont la somme représente l'ensemble de ce qui est possédé dans un pays. " Depuis les années 1980, d'importants transferts du -premier vers le second ont eu lieu presque partout ", détaillent les auteurs.
Pendant les " trenteglorieuses ", les actifs publics nets (logements, terrains, parts dans les entreprises publiques… une fois la dette publique retirée) des économies développées pesaient plus de 40  % du revenu na-tional. Tout a changé dès les années 1970, sous l'impulsion des privatisations et de la hausse des emprunts publics. Résultat : le niveau des actifs publics nets est désormais négatif aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et à peine positif en France, en Allemagne et au Japon. En Russie et en Chine, la part est passée de 60  %-70  % dans les années 1980 à 20  %-30  % aujourd'hui.
Dans le même temps, le capital privé net a explosé, passant de 200  %-350  % du revenu national des économies riches dans les années 1970 à 400  %-700  % aujourd'hui. " Cela restreint la capacité des gouvernements à redistribuer les revenus et à limiter la progression des inégalités ", détaille le rapport. Seule exception : les pays ayant profité de leurs revenus pétroliers pour alimenter un grand fonds souverain, à l'instar de la Norvège.
L'Europe est protégée par son -modèle social
Plusieurs chapitres du rapport le soulignent : l'Europe est la région où l'écart entre le 0,001  % le plus riche et les 50  % les moins aisés s'est le moins creusé. Cela tient beaucoup au modèle social instauré après la seconde guerre mondiale, fait d'un système de redistribution généreux et d'une fis-calité plus progressive. Mais aussi à des politiques salariales plus favorables aux classes populaires et à un système d'éducation relativement égalitaire.
Les inégalités se sont tout de même un peu renforcées dans la région depuis 1970. Et la situation reste contrastée entre les pays nordiques, champions toutescatégories de l'égalité, et d'autres Etats comme l'Espagne, toujours affectée par l'explosion de sa bulle immobilière en  2008.
Les États-Unis, le plus inégalitaire des pays riches
En  2014, le " top 1  % " des Américains les plus riches représentait plus de 20  % du revenu national contre 12,5  % pour les 50  % les plus pauvres. Ceux-là ont vu leurs revenus stagner depuis 1980, malgré une hausse de 60  % du salaire moyen (avant impôt). Au XXe  siècle, la société américaine a pourtant été longtemps plus égalitaire que la vieille Europe. Un basculement s'opère avec le vaste mouvement de dérégulation et de baisses d'impôts engagé sous la présidence de Ronald Reagan. Depuis, la progressivité de la fiscalité s'est fortement réduite, le salaire minimal a été presque gelé et les inégalités d'accès à l'éducation et à la santé ont atteint leur acmé. La  croissance des revenus non salariaux (ceux du capital) contribue, depuis les années 2000, à renforcer ces inégalités.
Le Moyen-Orient, champion des -inégalités
Les 10  % les plus aisés captent plus de 60  % du revenu national au Moyen-Orient. Les auteurs ont traité cette région comme un tout, compte tenu de sa relative homogénéité culturelle et d'une population équivalente à celle de l'Europe de l'Ouest. La rente pétrolière creuse les différences entre pays : les Etats du Golfe, riches en hydrocarbures, touchent la moitié du revenu régional, alors qu'ils ne représentent que 15  % de la popu-lation. Ces pays du Golfe sont eux-mêmes très inégalitaires, entre des citoyens nationaux bénéficiant de nombreux privilèges et une part croissante de travailleurs immigrés faiblement rémunérés.
En Russie, la fin du rideau de fer
Après 1989, la chute du communisme s'est accompagnée de transformations brutales en Russie : libéralisation des marchés de biens et services, privatisations massives, inflation galopante. Les revenus moyens ont augmenté, mais aussi les inégalités, les oligarques ayant capté une partie des ressources, notamment pétrolières, tandis que les emplois précaires se sont développés.
Résultat : la part du revenu national touchée par les 50  % les moins aisés est tombée de 30  % à 20  % depuis 1989, tandis que celle du 1  % le plus riche est passée de 25  % à 45  %. Le manque de données incite néanmoins à la prudence : la période communiste s'accompagnait également de fortes inégalités non monétaires, plus difficiles à mesurer, en matière d'accès aux droits élémentaires, de mobilité et de qualité de vie.
L'Afrique s'est appauvrie par -rapport aux autres continents
Une région a échappé au processus de -convergence des revenus au niveau mondial : l'Afrique subsaharienne, où le salaire moyen a progressé trois fois moins vite que la moyenne planétaire entre 1980 et 2016, -conséquence de crises à la fois politiques et économiques. A l'exception d'une poignée de pays, les statistiques manquent pour mesurer le niveau des inégalités sur le continent. Mais les rares données disponibles mettent en exergue des disparités plus -prégnantes que les précédentes estimations. Les inégalités sont extrêmes en Afrique du  Sud, héritage, notamment, du régime d'apartheid qui a longtemps prévalu.
La tendance va s'aggraver si rien ne change
Sans réaction forte de la part des Etats, les inégalités continueront de se creuser au cours des prochaines décennies, avertissent les économistes. A ce rythme, calculent-ils, en 2050, la part de patrimoine du 0,1  % le plus riche (en Chine, au sein de l'Union européenne et aux Etats-Unis) sera aussi élevée que celle de la classe moyenne ! " Si, en revanche, les pays suivent la trajectoire modérée observée en Europe, les inégalités peuvent être réduites, tout comme la pauvreté ", assurent-ils. Comment ? En instaurant une fiscalité plus progressive, suggèrent-ils, afin de réduire les inégalités après l'imposition, et en décourageant l'accumulation de patrimoine par les plus riches. Mais aussi en facilitant l'accès à l'éducation, essentiel pour l'accès aux emplois mieux rému-nérés, et en augmentant les investissements dans le domaine de la santé.
Marie Charrel, Marie de Vergès, et Philippe Escande

Des inégalités de richesse en forte hausse mais très hétérogènes

Les EchosGuillaume de Calignon
Une centaine de chercheurs ont présenté jeudi matin, à Paris, un rapport sur les inégalités au niveau mondial depuis les années 1980.
Avec le vote en faveur du Brexit, l'élection de Donald Trump et l'écho rencontré par un parti comme le Front national en France,
    le thème des inégalités économiques
s'est imposé dans le débat public. Jeudi, à Paris, une équipe d'une centaine d'économistes dirigée par Thomas Piketty, professeur à l'Ecole d'économie de Paris, qui a, par ses ouvrages, contribué à populariser ce sujet, a présenté, devant des chercheurs du monde entier,
    des travaux sur les inégalités au niveau mondial
. Ce qui permet d'avoir un panorama global du phénomène après quarante années de mondialisation, y compris dans des pays peu étudiés, comme ceux du Moyen-Orient ou de l'Asie. Et ce qui en ressort est plutôt inquiétant.
« Malgré une forte croissance de l'économie mondiale, globalement, les inégalités ont augmenté depuis les années 1980 », a souligné Thomas Piketty. Ainsi, depuis cette période, les 1 % d'individus les plus aisés dans le monde ont capté deux fois plus de croissance que les 50 % les plus pauvres. Aucun pays ne respecte les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies, qui préconisent que la croissance du revenu des 40 % des ménages les plus pauvres progresse plus vite celle du reste de la population.
Tout n'est pas noir, cependant, puisque des centaines de millions d'êtres humains sont sortis de l'extrême pauvreté, notamment en Chine et en Inde. Mais ce mouvement a eu un prix : « Les inégalités de revenus ont augmenté dans presque toutes les régions du monde ces dernières décennies, bien que celles-ci n'aient pas progressé au même rythme partout », a fait valoir Lucas Chancel, l'un des coordinateurs du rapport.
La croissance a été moins inégale en Inde et en Chine qu'aux Etats-Unis par exemple. La situation outre-Atlantique est d'ailleurs mise en avant comme l'exemple repoussoir par les chercheurs. La divergence avec l'Europe est complète depuis les années 1980 et l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Le taux d'imposition des 0,1 % de ménages américains les plus riches est désormais à un niveau inférieur de celui d'avant 1929, a expliqué Gabriel Zucman, chercheur à Berkeley, qui prend en compte les avoirs placés dans les paradis fiscaux.
Pas de fatalité
Alors que 10 % des ménages les plus aisés détenaient en 1980 à peu près 20 % du revenu national en Europe et aux Etats-Unis, en 2016, ils possédaient 12 % du revenu national sur le Vieux Continent, contre 20 % outre-Atlantique. La France a, elle, connu un accroissement des inégalités mais sans commune mesure avec ce qu'il s'est passé dans d'autres pays. Il n'y a donc pas de fatalité à l'accroissement des inégalités, en conclut Thomas Piketty. « La politique économique peut permettre de les réduire », estime-t-il. En tout cas, la française Esther Duflo, chercheuse sur la pauvreté au MIT, à Boston, a fait valoir qu'il « n'y a aucune relation automatique entre la croissance d'une économie et l'amélioration de la condition des pauvres de cette économie ». Parallèlement, les chercheurs ont mis en exergue la diminution dans tous les pays du patrimoine public net (c'est-à-dire les actifs publics moins les dettes publiques). Il est même devenu négatif ces dernières années aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En clair, si ces deux pays vendaient toutes les routes, écoles, hôpitaux et autres actifs, cela ne suffirait pas à rembourser leur dette. Au-delà de ce problème, cette diminution du capital public net « affecte la capacité des Etats à investir dans les services publics, l'éducation, les services sociaux… », selon Lucas Chancel. Autrement dit, la capacité à atténuer les inégalités est d'autant réduite.

" A un moment, les contribuables captifs finissent par se rebeller "

Le Mondevendredi 15 décembre 2017
Les auteurs du " Rapport sur les inégalités mondiales 2018 ", Lucas Chancel et Thomas Piketty, économistes à l'Ecole d'économie de Paris, expliquent, d'une seule voix, leur démarche.
Il existe une forte demande de participation aux débats économiques et un certain désarroi face à des notions comme le produit intérieur brut - PIB - ou la croissance. Ces indicateurs sont très éloignés de ce que les gens voient autour d'eux. Cela crée une défiance envers l'économie et le processus politique. Quels groupes sociaux ont vu croître leurs revenus ces dernières années ? Comment la richesse se répartit-elle à travers le monde ? On a envie de savoir. Cette analyse n'avait pas été faite jusqu'ici, en tout cas pas de façon statistique.
Nos données fiscales sont plus parlantes que les enquêtes déclaratives des organisations internationales qui sous-estiment considérablement les revenus des plus aisés. Ainsi, elles laissent croire que les plus riches ne gagnent pas plus de trois fois le salaire moyen. Ce n'est pas crédible. Nos données montrent que la tendance inégalitaire des trente dernières années a pris des proportions excessives et néfastes. Les organisations internationales se sont intéressées aux pauvres, pas aux riches.
Ce livre, et c'est une de ses limites, était très centré sur les pays occidentaux. Son succès a permis de forcer l'accès à des fichiers fiscaux que des gouvernements ne voulaient pas transmettre, comme au Brésil, en Corée du Sud, en Afrique du Sud, et même en Chine d'une certaine façon. Maintenant, notre cartographie des trajectoires inégalitaires dans le monde ne couvre plus seulement les pays développés mais aussi un certain nombre d'émergents.
On le fait déjà pour le PIB ! Tout le débat sur la mondialisation est surdéterminé par cette statistique, alors que ce qu'il y a sous le capot laisse vraiment à désirer. Une partie de notre projet consiste à la remettre en cause. Heureusement, c'est plus facile de collecter des données à grande échelle aujourd'hui que ça ne l'était il y a vingt ou trente ans. Dans les années 1950, Simon Kuznets, un des premiers chercheurs à se pencher sur ces questions, développait ses statistiques à la main.
Oui, mais on ne savait pas que, depuis le début des années 1980, le 1  % le plus aisé avait capté 27  % de la croissance totale des revenus, soit deux fois plus que les 50  % les plus pauvres. Ça oblige à se poser la question : était-ce indispensable d'avoir une telle explosion en haut de la distribution ? Les pays qui ont la plus forte croissance des inégalités ont-ils aussi la plus forte croissance en matière d'innovation ? La réponse est non.
Les coupables, ce ne sont pas les échanges commerciaux en tant que tels, mais les politiques publiques. La progressivité fiscale a été particulièrement mise à mal ces trente dernières années. Aux Etats-Unis, par exemple, l'imposition des plus hauts revenus au niveau fédéral a été presque divisée par trois sous Reagan avant de se stabiliser. Cela a profondément modifié la répartition des revenus dans le pays. Parallèlement, le pouvoir d'achat du salaire minimum américain a baissé de 25  % en cinquante  ans ! C'est un échec terrible.
Elle pourrait faire mieux. Même si la plupart des pays européens ont préservé les systèmes de protection sociale hérités de l'après-guerre, on n'a pas su réguler le libre-échange au sein de l'Union par de la solidarité fiscale et une mise à contribution des premiers bénéficiaires de la mondialisation et de l'intégration économique. C'est l'Europe qui a mené la danse en matière de concurrence fiscale. Donald Trump, dont l'une des réformes prévoit une baisse de l'impôt sur les sociétés à 22  %, suit ainsi le mouvement. Ce genre de politique mine le consentement à l'impôt et crée un ressentiment dans les classes populaires et moyennes. A un moment, les contribuables captifs finissent par se rebeller. Cela se traduit par une montée insidieuse du sentiment antimondialisation et anti-Europe.
Les pays dans lesquels les inégalités sont les plus stables depuis les années 1980 sont aussi ceux où elles atteignent depuis longtemps des niveaux très élevés. C'est le cas au Brésil, en Afrique du Sud ou au Moyen-Orient. Ces territoires ont été épargnés par les chocs extrêmes sur les revenus et le patrimoine qu'ont été les deux guerres mondiales et les crises économiques. Ils n'ont pas connu d'Etat-providence, de phase de nationalisation, de mise en place d'un système de protection sociale, de fort impôt sur le revenu et sur le patrimoine et notamment sur l'héritage.
S'il existe, on ne le connaît pas, et ce n'est pas notre rôle en tant que chercheurs de le définir. On atteint tout de même dans certains pays des niveaux extrêmes d'inégalités. Celui observé dans les années 1950-1980 en Europe et aux Etats-Unis était sans doute un assez bon compromis. Rien ne montre que ce modèle ne permettait pas la croissance. Encore une fois : la montée des inégalités n'était pas indispensable à la croissance.
La publication de la première version de notre travail a déjà eu un impact sur ce que fait le FMI. Il se met à utiliser nos données d'il y a cinq ans. Il y a de vrais enjeux politiques. Un Etat qui n'aurait que des impôts indirects comme la TVA ne connaîtrait rien aux revenus de ses citoyens. Dans les pays taxant séparément les revenus du capital et du travail, l'appareil statistique devient illisible. Comme l'administration n'a plus besoin de faire le lien entre le salaire et les intérêts ou dividendes touchés par une personne pour calculer l'impôt, les données disparaissent. L'impôt, c'est aussi une forme de transparence.
Propos recueillis par, élise Barthet, M. d. V. et P. Es.

Face à l'Europe, les Etats-Unis perdent la partie

Le Mondevendredi 15 décembre 2017
Les Etats-Unis peuvent-ils toujours se réclamer du rêve américain face à l'Europe ? La courbe des iné-galités permet d'en douter, tant celles-ci se sont creusées plus vite et plus fortement outre-Atlantique au cours des trente dernières années. En  1980, les situations étaient comparables, selon les données colligées par les chercheurs du projet World Wealth and Income Database (WID. world). Le " top 1  % " des Américains et Européens les plus riches détenait alors environ 10  % du revenu (national ou régional). Cette part est montée jusqu'à 12  % en Europe en  2016… mais elle a doublé aux Etats-Unis (20  %). Parallèlement, la part de revenu détenue par la moitié la plus pauvre de la population américaine s'est effondrée, passant de plus de 20  % à 12,5  %.
Le constat a beau être connu, il n'en demeure pas moins paradoxal. D'abord, parce que ces deux zones ont à peu près la même exposition à la mondialisation et la même pénétration technologique, deux facteurs invoqués pour expliquer la montée des inégalités. En sus, comme aime à le rappeler l'économiste Thomas Piketty, qui coordonne le projet WID, les Etats-Unis se sont construits autour d'une tradition très égalitaire. En opposition, précisément, à une vieille Europe en butte à de fortes disparités de classes ou patrimoniales. Le système de l'impôt progressif sur les revenus n'a-t-il pas d'ailleurs été inventé outre-Atlantique, il y a un siècle ?
Tout a changé au début des années 1980. " C'est l'effet Ronald Reagan ", explique Alexandre Delaigue, économiste à l'université de Lille-I. Les baisses d'impôts instaurées par le président républicain dès 1981 pour relancer l'économie ont profité aux plus aisés et ont favorisé l'explosion des hauts salaires. Jusque-là, les cadres dirigeants n'avaient guère intérêt à réclamer des rémunérations mirobolantes, puisqu'elles étaient fortement taxées.
L'Europe de l'Ouest, elle, a dans l'ensemble conservé la fiscalité plus progressive instaurée durant les " trente glorieuses ". Et plus élevée : les recettes fiscales s'élevaient ainsi à 37,6  % du produit intérieur brut en Allemagne en  2016, à 44,1  % en Suède et à 45,6  % en France, contre 26  % outre-Atlantique. " Cela se traduit par un système de protection sociale et de dépenses plus généreux qu'aux Etats-Unis ", détaille Zsolt Darvas, économiste au centre de réflexion Bruegel, sis à Bruxelles.L'assurance-chômage, l'accès à la santé et aux aides sociales limitent efficacement les écarts de revenus observés avant impôts et transferts. " En France, 80  % de la réduction des inégalités passe par les dépenses publiques, et 20  % par la -fiscalité ", ajoute Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.Influence de la finance
Le Vieux Continent a profité d'un effet de rattrapage : lors de leur entrée dans l'Union européenne, les nouveaux membres ont vu leur revenu moyen converger vers celui des plus riches. Surtout, les politiques salariales y sont relativement plus favorables aux classes mo-yennes et populaires. Grâce à une tradition de dialogue social et au taux de syndicalisation encore élevé dans certains pays – surtout en Scandinavie –, les Européens sont en meilleure position que les Américains lors des négociations avec les employeurs. Et ce, même si la crise et les politiques de rigueur ont mis un coup de frein aux augmentations ces dernières années.
Aux Etats-Unis, un autre catalyseur d'inégalités est le système éducatif. Celui-ci peine à assurer sa fonction d'ascenseur social, en dépit du discours sur la méritocratie et l'égalité des chances. Tandis qu'en Europe la gratuité de l'enseignement prévaut, les enfants américains issus des milieux les plus modestes ont difficilement accès à des universités dont les frais de scolarité ont explosé -depuis le début des années 1980.
Sans doute faut-il également souligner l'influence de la finance, qui participe de la montée des inégalités au moins de deux façons. D'abord, par la surreprésentation de ce secteur dans le groupe des très hauts revenus. Ensuite, par le rôle qu'il joue dans l'enrichissement des plus aisés : 80  % du marché boursier est détenu par les 10  % les plus riches qui ont bénéficié, de manière démesurée, de la hausse des cours des actions ces dernières années.
Malgré l'élection, en novembre 2016, d'un Donald Trump embrassant la thématique du fossé entre élites et classes populaires, la tendance semble partie pour s'aggraver. " Sa réforme fiscale va creuser le déficit et pousser à raboter les  programmes sociaux, sou-ligne Thomas Philippon, économiste à la New York University. Il s'agit d'une baisse d'impôt massive  pour le “top 1  %”, entièrement conçue en faveur des grands donateurs du Parti républicain. " De quoi alimenter la thèse d'une influence croissante des plus aisés sur le pouvoir politique, défendue entre autres par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz.
L'Europe n'est pas non plus à l'abri. Le vieillissement de sa population et la concurrence fiscale entre les pays membres mettent en péril le financement de son modèle social, d'autant que la progressivité de l'impôt s'est dégradée dans certains Etats. Enfin, les Européens les plus fragiles restent exposés à d'autres formes d'inégalités, notamment face à la mondialisation.
Marie Charrel, et Marie de Vergès

vendredi 1 décembre 2017

Titre XIV de la Constitution. Le support juridique de la coopération internationale.

Constitution de la République française.


Titre XIV : De la francophonie et des accords d'association.

Article 87. 
La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les Etats et les peuples ayant le français en partage.

Article 88. 
La République peut conclure des accords avec des Etats qui désirent s'associer à elle pour développer leurs civilisations.



Ainsi, la francophonie est elle le support à utiliser pour mettre en place la cinquième partie de notre projet de Constitution sur la Paix dans le Monde qui contient entre autres innovations (Etoile française,), l'organisation des Etats indépendants et autonomes (voir aussi la partie 4 de la Constitution sur les arcs et alliances Nord, Sud, Est, Ouest).



Autorité bancaire européenne.

Et si la City rebondissait grâce à la " banque de l'ombre " ?


Le Mondevendredi 1 décembre 2017
Le rapatriement de l'Autorité bancaire européenne de Londres vers Paris, dommage -collatéral du Brexit pour les Britanniques, n'est pas qu'une bonne nouvelle. Certes, il est mis fin à cette situation cocasse où l'un des berceaux de la régulation et de la supervision bancaires, première pierre de l'union bancaire, ne se situait pas dans la zone euro.
Les tories antieuropéens, et pas seulement ceux qui allaient jusqu'à dire oui au Brexit, expliquaient depuis le Financial Services Act de 2012 que la régulation bancaire devait être cohérente avec la politique monétaire : chacun devait régner sur ses banques, et celles de la City devaient composer avec la livre sterling, sous la supervision de la Banque d'Angleterre. En adoptant cette vision nationaliste de la stabilité financière, symbolisée par la reprise en main des banques par la Banque d'Angleterre et la disparition de la Financial Services Authority en  2013, cette position était annonciatrice du Brexit.
Tout comme il n'a jamais accepté de payer pour les agriculteurs européens, le Royaume-Uni refusait d'envisager de payer dans le cadre d'une solidarité bancaire au sein de l'Union. D'ailleurs, à quoi bon garder la livre sterling s'il fallait sauver la zone euro de la faiblesse de son système bancaire ? Le choix était clair : chacun doit faire la police bancaire sur sa place financière.
De plus, l'enjeu était de garder la City indépendante et attrayante, donc moins régulée sur certains sujets où les Anglais considèrent de haut leur supériorité, comme la libéralisation des rémunérations. La contestation du plafonnement des bonus par le gouvernement de James Cameron devant la Cour de justice de l'Union européenne en est l'illustration.
Le divorce avec l'union bancaire a été consommé bien avant le Brexit. En refusant la transposition de la directive de 2013 sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'inves-tissement (dite " CRD IV "), Londres a signifié son attachement à une autorégulation qui passe par une intrusion minimale dans les forces du marché, en particulier les rémunérations des banquiers.
Certes, l'union bancaire semble désormais être facilitée par le retrait -britannique. L'Autorité bancaire européenne basée à Paris aura les coudées franches pour avancer vers une harmonisation sans exceptions. Pour continuer à bénéficier du passeport européen en donnant des gages de transparence, de nombreuses acti-vités financières vont suivre le même chemin que le régulateur européen et  s'installer à Paris, ou ailleurs en -Europe continentale.Victoire à la Pyrrhus
Mais la finance ne va pas pour autant disparaître à Londres, et la City fera de la résistance. Or, la nature de cette résistance pourrait bien transformer ce symbole du déménagement de l'Autorité bancaire européenne en victoire à la Pyrrhus. En déconnectant totalement la Grande-Bretagne des questions de stabilité financière en Europe, le risque est en effet de créer une place financière spécifique, où la régulation sera moins forte.
Au cœur du sujet se situeront bien sûr les rémunérations et la fiscalité, mais aussi la réglementation des nouvelles activités développées par les fintech,sujet sur lequel l'Autorité bancaire européenne a déjà commencé à  phosphorer. La City, pour ne pas -perdre ses parts de marché, sera ac-commodante, afin de se positionner comme la place la plus avantageuse pour faire de l'argent.
Certes, s'agissant des banques régulées, le coût des sauvetages de 2008, qui ont représenté près de 10  % du PIB britannique, devrait calmer les -ardeurs d'une dérégulation trop visible. Mais c'est sans doute sur les nouvelles activités de la finance non régulée, qui se développent à grande vitesse, que la City va tenter de rebondir.
Elle ne cherchera pas uniquement à retenir les banques régulées en leur proposant une régulation plus souple ; elle va se positionner comme le royaume du shadow banking (" banque de l'ombre "). Il y a donc fort à parier que la City développe une finance nouvelle, qui entrera en concurrence frontale avec les banques régulées, repliées sur le continent européen et respectueuses d'une réglementation prudentielle vertueuse.
Le risque de ce positionnement hyper-libéral est celui d'une " islandisation " de la City. L'Islande, avant la crise financière de 2008, a connu un développement bancaire exponentiel… qui a très mal tourné. Basé sur la permissivité d'une spéculation débridée, qui a gonflé le bilan des banques de ce petit pays en quelques années, ce système a explosé car il était plus que vulnérable à la contraction des marchés de liquidités au moment de la crise des subprimes.
L'explosion des banques islandaises n'a eu que des conséquences somme toute marginales après 2008. Mais imaginons que la fièvre d'une place de la taille de la City, même amoindrie par le Brexit, conduise à ce qu'a connu l'Islande à l'époque ? Union bancaire ou pas, la crise sera mondiale. Si la City développe sa riposte aux effets collatéraux du Brexit sur son industrie de la finance en allant vers la facilité réglementaire – ce qui semble se  profiler –, le risque systémique en Europe ne -reculera pas. Au contraire.
La révolution autour des nouvelles activités dérégulées de la " banque de l'ombre " est un enjeu majeur pour le système financier mondial. Sur ce terrain vont se jouer la survie de la City et la concurrence avec la finance européenne continentale. La participation britannique au comité de Bâle, qui regroupe les représentants des banques centrales et des autorités prudentielles de près de trente pays, ne sera pas suffisante : il faut maintenir la coo-pération avec Londres en matière de -supervision bancaire européenne.
par Frédéric Peltier



Banque des règlements internationaux (BRI)


la finance pour tous
La BRI a été fondée le 17 mai 1930, ce qui en fait la plus ancienne institution financière internationale. Elle avait à l’origine la mission de gérer les modalités financières du plan prévoyant les réparations de guerre dues par l’Allemagne en application du Traité de Versailles de 1919.
Le siège de la BRI se situe à Bâle, en Suisse. Elle est actuellement présidée par Jens Weidmann, le gouverneur de la Bundesbank, qui exerce jusqu’en novembre 2018 un mandat de trois ans.  Depuis avril 2009 l’ancien gouverneur de la Banque d’Espagne, Jaime Caruana, assume quant à lui les fonctions de directeur général de l’institution.
Aujourd’hui, le principal rôle de la BRI est de favoriser la coopération monétaire et financière internationale et d’agir en tant que banque des banques centrales. Pour remplir cette mission, elle dispose de moyens financiers propres et d’une organisation spécifique.

La BRI œuvre en faveur de la coopération monétaire et financière internationale

La BRI favorise la coopération internationale entre les autorités monétaires et les autorités de surveillance du secteur financier dans le cadre de réunions qu’elle organise à l’intention des responsables de ces instances ainsi que dans le cadre du processus de Bâle qui consiste pour la BRI à héberger des comités internationaux chargés d’élaborer des normes et d’œuvrer à la stabilité financière.

Le comité de Bâle

Le comité le plus connu est le comité de régulation financière internationale dénommé « comité de Bâle pour le contrôle bancaire ». Créé en 1974, il a pour mission de renforcer la régulation des banques et de promouvoir et diffuser de meilleures pratiques bancaires. Son principal objectif est toutefois d’assurer la stabilité du système financier à l’échelle mondiale. À cet effet, il établit des normes internationales dans le domaine du contrôle prudentiel des banques et constitue une instance de coopération internationale sur ces questions.
C’est en 1988 que naissent les premiers accords de Bâle, communément appelés « Bâle I ». Son dispositif principal (ratio de Bâle I, dit ratio « Cooke » du nom du premier Président du Comité de Bâle) oblige les banques actives à l’international à détenir un minimum de fonds propres au regard du montant de leurs engagements, l’objectif étant de réduire le risque systémique.
Face à la complexification des produits financiers dans les années 1990, les membres du Comité de Bâle ont été amenés à redéfinir, enrichir et améliorer les normes de régulation. Ces initiatives ont débouché sur la signature d’un deuxième accord, appelé « Bâle II », en 2004 puis, avant même la mise en œuvre complète des accords de Bâle II, d’un troisième (les accords de Bâle III) en novembre 2010 en raison du déclenchement de la crise financière de 2007/2008.
D’autres comités et des associations indépendantes
D’autres comités ont pour objet l’analyse des questions relatives aux systèmes financiers, les normes concernant les infrastructures de paiement, de compensation  et de règlement, l’organisation et le fonctionnement des banques centrales …
Les travaux de ces comités ont vocation à alimenter la réflexion internationale en matière de surveillance et de supervision.
Trois associations disposant, contrairement aux six comités, de leur propre gouvernance, complètent le processus de Bâle. Elles sont simplement hébergées dans les locaux de la BRI à Bâle. Il s’agit :
  • du Conseil de stabilité financière, qui élabore des documents d’orientation en vue de propager des bonnes pratiques en matière de régulation ;
  • de l’association internationale de protection des dépôts ;
  • de l’association internationale des contrôleurs d’assurance. 

La BRI exerce aussi une activité d’analyse économique et financière

Le Département monétaire et économique de la BRI réalise des travaux de recherche et d’analyse sur des questions traitant de la stabilité monétaire et financière. Il fournit par ailleurs un appui aux comités hébergés par la BRI et organise des réunions entre hauts responsables de banque centrales ou d’institutions internationales chargés de veiller à la stabilité financière. De plus, il a en charge la collecte, l’analyse et la diffusion des statistiques sur le système financier international.

La BRI fait office de banque des banques centrales

La BRI contribue aux activités des banques centrales en les aidant dans la gestion de leurs réserves et en favorisant la coopération internationale dans ce domaine. La BRI propose également ses services financiers aux organisations financières internationales.
Au 31 mars 2015, le total des dépôts de la clientèle s’élevait à quelques 187 milliards de DTS, dont 95 % libellés en devises et 5 % en or.

La BRI dispose de moyens financiers et d’une organisation propres

Le capital de la BRI est composé d’actions appartenant à 60 banques centrales, les institutions et personnes privées en ayant été exclues depuis 2000. Ce capital est divisé en 600 000 actions dont la moitié appartient aux banques centrales d’Allemagne, d’Angleterre, de Belgique, de France, d’Italie et des États-Unis.
Dotée d’un budget total de l’ordre de 297 millions de Francs Suisses en 2014/2015, et employant 623 personnes provenant de 57 pays, la BRI dispose d’une structure de gouvernance duale, avec un conseil d’administration qui détermine les grandes orientations stratégiques ou politiques, et un directeur général qui a en charge la gestion de l’institution.

Le Conseil d’administration

Le conseil d’administration est l’instance politique de la BRI dans laquelle sont prises les principales décisions. Composé au maximum de 21 membres, dont les gouverneurs des banques centrales de France, d’Allemagne, de Belgique, d’Italie du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon et de la Chine, il élit en son sein le président du Conseil d’administration pour un mandat de trois ans renouvelable une fois.
C’est l’actuel président de la Bundesbank, l’Allemand Jens Weidmann qui occupe ces fonctions qui auparavant étaient exercées par Christian Noyer, lorsqu’il était gouverneur de la Banque de France. Son mandat court jusqu’en novembre 2018. L’Indien Raghuram Rajan le seconde en tant que Vice-président.
Une spécificité des statuts de la BRI fait que les gouverneurs des banques centrales de France, d’Allemagne, de Belgique, d’Italie, du Royaume-Uni et des Etats-Unis sont membres de droit du conseil d’administration et ont la possibilité de désigner un nouveau membre du conseil de même nationalité que la leur. C’est ce qui explique que la France compte deux membres au conseil d’administration de la BRI, tout comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique ou l’Italie, mais pas le Japon ni la Chine. A noter également que le Président du conseil des gouverneurs de la BCE est également membre du conseil d’administration de la BRI.
Ce dernier se réunit au moins six fois par an et bénéficie de l’assistance de 4 comités chargés de le conseiller.

Le directeur général

Nommé par le conseil d’administration de la BRI sur proposition du comité des nominations, le directeur général a la responsabilité de la gestion de la banque. Il rend compte de son action au conseil d’administration. Jaime Caruana, ancien gouverneur de la Banque d’Espagne, occupe cette fonction depuis 2009.